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B2 Pourquoi nos ancêtres n'allaient pas à la plage bug_report

Grégory Le Floch, écrivain

Saviez-vous qu'avant le 19e siècle, la plage n'existait pas ? Du moins, elle n'était pas considérée comme un lieu public à part entière. La plage n'existe pas. C'est un espace géographique que les gens ne voient pas. Voici pourquoi, avant les années 1820, vous n'auriez sûrement pas eu l'idée de vous y allonger, vous y baigner ou y regarder les vidéos de France Culture. Pendant longtemps, la plage était très peu fréquentée. Elle était même crainte. C'est le lieu des naufrages, c'est le lieu de la mort. Un lieu qui va être associé aussi aux monstres issus de regarder les cartes du Moyen-Âge ou même de la Renaissance. Au centre des océans, on va placer des petits monstres marins, des diablotins, pour montrer le danger que représente la mer. Cette vision entraîne les savants du 18e siècle à penser que la mer peut être une cure pour les personnes considérées comme folles. La brutalité du bain était pour eux un moyen de guérison. On va emmener les patients, attachés par une corde les uns aux autres, avec des infirmiers pour les immerger très brutalement dans les vagues. On n'y va pas petit à petit, on y va d'un coup et on les bloque sous l'eau. 15 voire 30 secondes le temps de réciter trois Ave Maria en espérant une guérison prochaine. Cette vision thérapeutique de la mer est portée par le médecin anglais Richard Russell en 1750 et le français Hugues Marais en 1769. Les aristocrates vont donc aussi la voir comme un médicament. Une société de bord de mer autour de la guérison va se construire, mais la baignade n'est pas encore une activité commune. Et cette réticence se voit dans les tenues de bain, bien loin du short ou du bikini. On met des combinaisons extrêmement épaisses parce qu'on a encore un peu peur de l'eau. On utilise des cabines qui vont être tirées par des chevaux pour aller jusqu'à la mer. En fait, il y a toute une précaution presque de cosmonautes pour appréhender cet espace qui fait encore peur. Certains vont tout de même expérimenter la baignade pour leur simple plaisir. Les premiers à le faire vont être traités de fous. La Duchesse de Berry en 1824 qui se baigne à Dieppe en compagnie du maire, d'un médecin. On l'accompagne jusqu'aux vagues dans une tenue en combinaison. On fait sonner le canon quand elle entre dans les premières vagues. Il y a tous les Diepois et les Diepoises qui observent cette immersion. Et on trouve la Duchesse complètement fantasque. Si les aristocrates les plus téméraires se baignent, ils ne sont pas les seuls. Les historiens trouvent des traces de ce qu'on appelle les baigneurs sauvages à Carole, à Grandville, à Bayeux. Une population locale qui se réunit pour se baigner. La plage comme lieu de plaisir se démocratise petit à petit. Les stations balnéaires se multiplient vers la fin du 19e siècle. Et l'avènement des congés payés en 1936 permet aux classes moins aisées de profiter des gouttes. Mais la tenue reste encore très codifiée. Jusque dans les années 40-50, on avait encore des surmaillots de bain ou des épaisseurs autour de la taille pour éviter de voir les cuisses, les seins apparaître. On va avoir l'apparition de maillots de bain à rayures verticales pour essayer de cacher certaines zones du corps qui pouvaient apparaître par transparence. Ce qui fait que le maillot de bain se transforme presque en barreau de prison. Cet emprisonnement ne se remarque pas chez les artistes. Les impressionnistes font de la plage un paysage qui mérite d'être peint. Elle a aussi sa place dans la littérature en inspirant Marcel Proust pour "À l'ombre des jeunes filles en fleurs" en 1919, 2e tome de "À la recherche du temps perdu". L'époque d'un rivage terrifiant s'éloigne, la plage devient même propice aux histoires d'amour. C'est le lieu romantique, c'est le lieu presque aussi de l'érotisme. Il suffit de regarder les clips musicaux, la pop, Shakira, Nicki Minaj. On a cette association de la femme désirable et de la plage constamment. Ça remonte à Botticelli et la naissance de Vénus. Et je trouve que dans les clips pop, on voit réellement cet héritage de Botticelli. De quoi faire de la plage un lieu où la création est rendue possible. Et d'ailleurs, ce n'est pas pour rien si certains ont écrit leurs livres sur une plage. [Musique]